vendredi 26 août 2011

Kitchen - Banana Yoshimoto


"Un pâle crépuscule descendait sur la ville. Le vent s'était levé, il faisait un peu frais. Les plis de mon manteau léger frissonnaient tandis que j'attendais le bus.
Je regardais les grands immeubles alignés de l'autre côté de la rue, avec leurs rangées de fenêtres qui se détachaient sur fond bleu. On aurait dit que tous les gens qui s'affairaient à l'intérieur, et les ascenseurs dans leur course verticale, étaient sur le point, dans un halo de silence, de se fondre à l'obscurité vague.
[...]
Le bus était bondé. M'agrippant à la poignée sur laquelle je pesais de tout mon poids, je me suis mise à contempler le ciel qui, s'obscurcissant, disparaissait peu à peu dans le lointain, derrière les immeubles. Au moment où mon regard se dirigeait vers la lune naissante qui s'apprêtait à traverser doucement le ciel, le bus a démarré.
[...]
Je peux vous jurer que j'étais en train de rêvasser, avec un certain détachement - du moins je le croyais. Et ballottée par le rythme du bus, je continuais distraitement de suivre des yeux le petit dirigeable qui s'en allait à l'autre bout du ciel. 
Mais soudain j'ai senti des larmes qui coulaient sur mes joues et tombaient goutte à goutte sur mon manteau.
Je n'en croyais pas mes yeux.
Je me suis dit que ma mécanique était cassée. Comme quand on est dans un état d'ivresse incontrôlée, les pleurs affluaient d'eux-mêmes. Tout cela se passait en dehors de moi. Puis la honte m'a rendue écarlate. Cela, en revanche, je m'en suis bien rendu compte. Je suis descendue du bus en catastrophe.
Dès qu'il s'est éloigné, je me suis précipitée dans une petite ruelle obscure. 
Là, accroupie dans la pénombre entre mes bagages, j'ai éclaté en sanglots. Jamais je n'avais autant pleuré de ma vie. Tout en versant des larmes tièdes, intarissables, je me suis aperçue tout à coup que depuis la mort de ma grand-mère, je n'avais pas eu mon compte de pleurs."



"J'ai fait un rêve.
J'astiquais l'évier dans la maison que j'avais quittée définitivement ce jour-là.
La couleur verte du sol, comme elle me manquait déjà !... Pourtant, je l'avais détestée tant que j'habitais là, mais à présent que j'allais partir, je commençais à la regretter terriblement."

Kitchen - Banana Yoshimoto, 1988 - traduit par Dominique Palmé et Kyôko Satô

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